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La vigne : témoin des changements climatiques

Résumé

Fabien Gaveau, professeur agrégé d’histoire à Dijon et chercheur associé au CNRS nous parle de la viticulture en France. Comment la vigne est-elle impactée par les changements climatiques ? Et comment les viticulteurs s'adaptent-ils à ces changements ? 

 

ITW de Fabien Gaveau

Professeur agrégé d’histoire à Dijon et chercheur associé au CNRS

 

fabien gaveau

Quels chemins vous ont mené à étudier l’histoire ? Et tout particulièrement celle du vin et de la viticulture ?

Sans hésiter, mon goût pour l’histoire remonte à mes premiers souvenirs d’enfant. Ce sont les histoires qui m’étaient contées qui m’ont donné le plaisir de vibrer aux épopées du passé. De là j’ai voulu faire de l’histoire le cœur de mon métier, et cela s’est traduit par le désir, dès le collège, de devenir professeur d’histoire puis d’être moi-même « explorateur du passé », un chercheur. Par mes origines familiales agricoles et parce que les sociétés du passé reposent sur la capacité à produire à partir des territoires, c’est l’histoire rurale, agricole, environnementale comme cela se dit aujourd’hui, qui a retenu mon intérêt. Mon parcours de recherche m’a porté à comprendre dans quel environnement les sociétés passées travaillaient et comment elles pouvaient s’adapter à des mutations globales, notamment liées aux changements des profils météorologiques des années. Encouragé par Emmanuel Le Roy Ladurie, j’ai donc orienté mon action vers la viticulture, parce que la vigne accompagne les sociétés occidentales dans la très longue durée et qu’elle offre la manière de mieux repérer les changements qui m’intéressent.

Pourquoi avoir choisi la viticulture pour étudier le climat ?

L’historien travaille par rapport à un questionnement, dans mon cas les changements des profils météorologiques des années dans la très longue durée des siècles. Cette curiosité permet en outre d’apporter aux chercheurs des sciences du climat des données qu’ils n’ont pas pour les périodes qui précédent la généralisation des mesures thermométriques, fin XIXe siècle pour le dire vite. Le questionnement ainsi posé, il ne peut être résolu que si des données le permettent. Les historiens cherchent ces éléments dans ce qu’ils nomment des « sources ». Et la vigne est cette plante qui a suscité beaucoup d’attention depuis des siècles ! C’est donc un végétal particulièrement utile pour accéder à la connaissance recherchée. La vigne est devenue importante depuis le premier millénaire avant notre ère pour l’Europe du Sud. Elle a accompagné la société d’Europe de l’Ouest, en particulier de l’actuel espace français, dans la longue durée. Répondant à des usages du quotidien pour les sociétés anciennes, la vigne a également procuré des revenus importants pour des abbayes, des institutions religieuses, des princes, des villes... L’importance économique de cette activité a conduit les détenteurs du pouvoir à suivre avec une grande attention le travail de la vigne. Ainsi s’explique des archives nombreuses et précises, parfois très bien conservées depuis des siècles, avec la possibilité de suivre en détail le travail des vignerons et en particulier le temps de la récolte des raisins. Parce que la vigne reste un végétal, avec des exigences biologiques, l’analyse du travail qu’elle nécessite, chaque année, permet de dégager des renseignements précis pour reconstruire la longue histoire des paramètres météorologiques dans une région donnée. Chaque étape du travail intervient en effet par rapport à un stade de développement du végétal.

 

Pourquoi avoir étudié les bans des vendanges* en Bourgogne ? Quelles sont leurs origines et sur quels critères la date d’ouverture des vendanges reposait-elle ?

La question est très riche, ma réponse sera synthétique par nécessité, tout en étant un peu longue. Les bans de vendange ont retenu l’attention depuis le milieu du XIXe siècle auprès de ceux qui voulaient en savoir plus sur les changements météorologiques.

Le vignoble entre Dijon et Beaune offre une documentation abondante, ancienne, très bien conservée par trois centres d’archives publiques, les Archives départementales de Côte-d’Or à Dijon, les Archives municipales de Dijon et celles de Beaune. Les vignes y sont très anciennement l’objet d’une attention très soutenue, à l’échelle des désormais célèbres « Climats ». La stabilité du vignoble dans les mêmes zones, la stabilité du cépage qui produit les vins fins rouges de Bourgogne et la permanence des rouages commerciaux dans la durée des siècles offrent ici un observatoire à nul autre pareil.

J’ai mobilisé un collègue médiéviste, Thomas Labbé, et tous deux nous avons repris la documentation propre uniquement à une même localité et à un même terroir. Il s’agit d’abord des vignes réputées de Dijon, ce qui a permis de publier en 2011 une série des dates des bans à Dijon de 1385 à 1905, date de l’abandon de la vigne dans cette ville. Nous avons ensuite porté notre attention sur la montagne de Beaune, et elle uniquement, et avons publié en 2013 ce qui forme la série « Beaune », de 1371 à 2010, assurément la série la plus complète et la plus longue au sujet d’une récolte agricole. Au risque d’être un peu long, c’est là l’essentiel : un lieu, un cépage dominant, des siècles de documentation.

Enfin, concrètement la vigne fait l’objet d’une grande attention, surtout à partir de la véraison, quand le raisin commence à changer de couleur. Alors, par mesure de police, pour éviter les déplacements dans les vignes, les vols, les dégâts liés aux déplacements des personnes ou des animaux, c’est une prérogative du pouvoir, la commune à Dijon et à Beaune, ou le seigneur local, ou la communauté des habitants, que de décider d’interdire l’entrée dans les vignes dans un premier temps. Les vignes fermées de murs sont en-dehors de cette réglementation mais elles sont l’objet d’une attention encore plus profonde et d’une documentation très nourrie ! Les raisins mûrissent. Vient le temps de la réflexion au sujet de quand la vendange aura lieu. Il faut en effet préparer le matériel utile et penser à la main-d’œuvre, qu’il faut très abondante pendant longtemps.

Les archives livrent donc la date des visites des vignes par des « experts », et la série de ces dates est un très gros complément pour comprendre également le profil météorologique de chaque année parce que cela veut dire que les populations commencent à percevoir que le raisin est bientôt bon à cueillir. Les « experts » regardent les raisins, les savourent et surtout ils repèrent si le pépin a la forme et la couleur de la figue, et si la pulpe du raisin s’en détache nettement. Si tel est le cas, alors, l’autorité locale décide du jour à partir duquel la vendange aura lieu. Pour être le plus bref possible, retenons que la date d’ouverture des vendanges se fait également en prenant en compte les travailleurs qui s’accumulent souvent en grand nombre, des milliers, autour des deux villes étudiées, et en prenant en compte parfois la crainte d’un brusque changement de temps qui, s’il passait à la pluie, ferait perdre la récolte. Mieux vaut une récolte même médiocre que pas de récolte du tout. Enfin, le ban prévoit quel « Climat » est vendangé en premier, et l’ordre des autres. Cela permet aussi de diriger les travailleurs vers les mêmes grandes contrées et de rationnaliser l’usage des pressoirs. Ainsi, nous avons travaillé les dates de véraison, les dates des visites des vignes, les dates des réunions pour savoir quand ouvrir la vendange, les dates effectives auxquelles le travail débute dans les vignes, parce qu’il est parfois nécessaire de reporter le travail pour cause de temps pourri ! Cette étude complète offre le moyen de comprendre quel est le temps qui a accompagné chaque cycle de vie des ceps, du printemps à l’automne.

* date administrative qui autorise de commencer à récolter le raisin

 

Comment étaient-ils perçus par les viticulteurs ? Quelles sont les raisons pour lesquelles ils ont été supprimés ?

Pour les vignerons, pendant longtemps le ban ne se discute pas, d’abord parce que jusqu’à la Révolution de 1789 c’est une prérogative du pouvoir local, inscrite dans la tradition. Avec la Révolution, le ban est critiqué par les autorités nationales plus que par les vignerons ! Ce sont des paysans qui ont une conscience de « communauté » contre ceux qui ne pensent qu’individualisme ! Le ban reste une façon d’organiser collectivement la récolte sans disperser chacun dans toutes les vignes, avec les dégâts consécutifs et une concurrence pour la main-d’œuvre et le matériel, les pressoirs en particulier.

Après 1789, pour les autorités nationales, la lutte contre les bans se fait au profit de la propriété privée pleine et entière, nouvellement promue par le droit. L’idée est que chacun doit pouvoir récolter quand il le veut, et non pas en se pliant à un règlement communal. Concrètement pourtant, comme les vignes des uns et des autres sont mêlées, il faut éviter que les déplacements des uns ne nuisent aux vignes des autres. Pour échapper au ban local après 1789 il faut que la vigne soit directement accessible par un chemin et qu’elle soit close. Mais pour se clore le propriétaire doit veiller à ne pas entraver l’accès d’un autre à sa propre vigne.

Cela noté, des propriétaires très soucieux d’agronomie pensent qu’il faut pouvoir adapter la date de la récolte à la parfaite maturité du raisin. Cela pousse à la suppression véritable du ban des vendanges, qui reste malgré tout en usage tant que les vignerons tiennent à lui. Ajoutons que la décision du ban reposait beaucoup sur l’idée première d’assurer une récolte. Dans ce sens, la date retenue avait tendance à être un peu précoce par rapport à l’optimum de maturité que les propriétaires éclairés se mettent à étudier activement à partir des années 1850-1860. Dans la région de Beaune, de grands propriétaires sont très engagés en ce sens, sans doute en lien avec la particularité de ce vignoble qui repose sur des « climats » nombreux et tous singuliers. Imaginez, entre Beaune et Dijon, une trentaine de kilomètres d’un trait, mais huit à dix jours de décalage dans la maturité des raisins ! Et entre les pieds de côte et le haut, d’autres variations. Cela dit, n’oubliez pas que les bans sont ouverts par « contrées » qui regroupent des « climats », ce qui malgré tout était convenable. L’abandon définitif des bans à Beaune en 2008 ne fait que sanctionner le fait que depuis des années ils étaient devenus essentiellement indicatifs de l’optimum de maturité analysé par les techniciens et les vignerons localement.

 

Quels changements climatiques au cours des derniers siècles avez-vous pu constater grâce à vos recherches ? Les viticulteurs de l’époque s’adaptaient-ils aux périodes de grands froids et de chaleurs ?

Les résultats de la série Dijon et de la série Beaune sont importants. Couplé à d’autres études, comme celle de Besançon et de la Suisse, l’apport permet de confirmer ou de mettre en évidence, d’un point de vue synthétique et thermométrique, le tiède des XIVe et XVe siècles, le pic de chaleur de la deuxième moitié du XVIe siècle avec des épisodes de chaleur extraordinaire, jamais atteints avant que notre époque ne les fasse ressurgir de manière si marquée. Le XVIIe siècle est accompagné d’un rafraîchissement notoire puis s’ouvre le célèbre Petit Âge glaciaire et la descente dans un froid plus vif jusque dans les années 1850, avant stabilisation puis réchauffement global. Le principal acquis de ce travail est d’avoir une profondeur suffisante pour noter combien depuis le milieu des années 1980 la tendance au réchauffement est sans comparaison avec l’ensemble des épisodes où un réchauffement s’est produit depuis six siècles dans nos régions. Notons-le tout nettement, depuis une quarantaine d’années se produit un phénomène qui n’a jamais été connu par sa rapidité et son intensité sur la période étudiée par les travaux dont j’ai brossé la matière ici.

Ce qui apparaît c’est la plus grande fréquence des épisodes météorologiques d’intensité extrême (chaleur, sécheresse, brusque précipitation…) et une tendance à un « stress » météorologique très marqué.

Les vignerons des siècles passés ont certes été confrontés à bien des crises, liées à un aléa qui détruit la récolte ou à des maladies - oïdium après 1852 – ou des parasites -le phylloxéra qui ravage les vignes dans les années 1870 – 1890, selon les régions. Toutefois, les conditions météorologiques ont changé dans la durée, sur des années assez nombreuses pour que l’adaptation soit envisageable. Le traumatisme c’est l’oïdium qui ravage brutalement les récoltes et qui nécessite de penser des remèdes pour protéger les ceps. L’autre traumatisme c’est le phylloxéra contre lequel il faut des porte-greffes. Reconstituer les vignobles est coûteux et long, et beaucoup de familles délaissent cette activité à l’époque de la crise. D’autres chocs viennent des marchés.

Face aux chaleurs, à la sécheresse surtout, et aux grands froids, beaucoup plus prononcés que de nos jours, les vignerons faisaient au mieux. Le froid était le malheur le plus grand par les gelées. Subir ou prier, voilà l’attitude ! Prier les saints encore face à la sécheresse… Mais là où la sécheresse était assez présente, il y avait des techniques de culture que la science agronomique a jugées « archaïques » à partir des années 1870-1880. Sur le fond, les vignerons du passé sont des héritiers de savoirs très riches qui ont été condamnés par les élites agronomiques mais qui fournissaient des solutions utiles pour contrer bien des aléas. Ces vignerons disposaient de cépages qui étaient adaptés aux conditions moyennes des lieux. Bref, la question de l’adaptation ne se pose pas dans les mêmes termes parce que soit un aléa surgit et c’est d’une solution rapide dont les sociétés ont besoin pour continuer à vivre, soit toute la société repose sur sa capacité à créer les conditions de sa vie avec les aléas les plus fréquents.

Ce qui est différent actuellement, c’est que le choc vient des paramètres environnementaux et que le rythme de l’adaptation nécessaire pour y faire face doit être rapide ! Or, le changement de comportement de ce qui est enraciné depuis longtemps ne se décrète pas en quelques mois. Et il serait sage de réapprendre ce que sont les rythmes de l’agriculture, globalement, pour anticiper des changements impératifs de pratiques agricoles !

Les différences entres les dates des vendanges pourraient-elles aussi être corrélées à un changement du goût du vin, un aspect purement culturel ?

Sur ce point, mon collègue et moi avons regardé la question à travers les mêmes archives. Dans le cas de la Bourgogne, le vin de référence a bien entendu changé dans le goût. Toutefois, une large part du goût est le résultat de la façon dont les moûts sont travaillés, et là interviennent beaucoup de facteurs proprement techniques et culturels. En somme, la date de la vendange en Bourgogne a peu à voir avec les mutations du goût sur le fond.

En effet, Beaune est depuis six siècles au moins la station qui cherche la maturité la meilleure pour des vins qui seront aptes à la conservation et au transport. Les études conduites démontrent qu’à partir des années 1650, sous la pression de nouveaux propriétaires de vignes, des officiers du roi, la décision d’ouvrir les vendanges à Dijon est motivée par l’idée de fournir des vins capables de rapporter autant que ceux de Beaune. Alors, l’idée est de vendanger en assurant une meilleure qualité des raisins, en veillant à retarder les vendanges pour que les grumes soient capables de fournir les meilleurs moûts. Ainsi l’écart dans la décision d’ouvrir les vendanges entre ces deux villes diminue-il pour se rapprocher de la huitaine de jours qui marque encore l’étalement dans la survenue de la maturité des raisins depuis le sud de Dijon jusqu’à Beaune. Il y a d’autres éléments de preuve de ce type dans les années 1450-1550. Mais en définitive, à Beaune, depuis des siècles, et quel que soit le goût du vin produit, la maturité des grumes guident ceux qui décident de la date des vendanges ! C’est donc dans le travail des moûts que se joue une large part de la « fabrique du goût » désormais !

Enfin, nous avons pris en compte les mutations techniques du travail de la vigne, des formes de la taille et tout ce qui a une incidence sur le développement du végétal. Il en ressort que les séries de dates que nous avons étudiées permettent réellement d’identifier les paramètres proprement météorologiques qui se cachent dans les données 

 

 

vignes corse

Vous êtes également spécialiste du vignoble Corse. Quelles sont les particularités qui vous ont amené à concentrer vos recherches sur cette région viticoles en particulier ?

La Corse est venue dans le prolongement des études menées en Bourgogne. Depuis 2013, j’y ai rassemblé une abondante documentation pour cerner les vignobles insulaires dans la longue durée et ainsi produire des séries des dates de vendange selon la méthode développée pour Dijon et Beaune.  Il s’agissait donc de produire de quoi comparer les observations faites en Bourgogne avec une terre au cœur de la Méditerranée, avec des archives riches, anciennes, et une tradition viticole qui remonte à la nuit des temps et à la naissance de la domestication de la vigne !

Plus précisément, pourquoi avoir orienté le travail vers cette île-montagne ? En premier lieu, c’est une terre où la vigne a été intégrée à la vie des premières sociétés un millénaire avant notre ère. Ici, la viticulture s’est construite en s’appuyant sur des variétés endémiques et des apports de l’ensemble de la Méditerranée, depuis l’Antiquité. Il en ressort une diversité ampélographique immense au regard d’un territoire de 8 750 km² !

En deuxième lieu, l’île-montagne permet d’étudier des vignobles différents du nord au sud (Cap-Corse ; Nebbiu / Bonifacio), d’est en ouest (Calvi ; Ajaccio ; Sartène / Côte orientale ; Bastia) et du niveau de la mer à près de 850 mètres d’altitude dans le Niolu. Cette gamme de territoires très différente est complétée par la possibilité d’étudier en parallèle l’influence de la masse maritime sur les conditions météorologiques (et cela permet également de constituer une série, la première au monde, qui offre la possibilité de connaître l’état de la mer depuis les années 1870 au jour le jour dans divers points d’observation sur les côtes). Donc d’un point de vue de l’histoire environnementale c’est la meilleure station qui soit !

En troisième lieu, les produits viticoles insulaires se vendent depuis des siècles, via Pise puis Gênes, puis la France, dans le monde entier, y compris les États-Unis depuis les années 1780 ! De fait, les archives italiennes et celles liées au monde du commerce complètent les archives corses. En outre, une viticulture aussi ancienne et diverse, dans ses aspects, ses caractères et ses productions, vinicoles ou fruitières, imprègne la culture insulaire. Les traditions vigneronnes sont vivantes, ce qui permet d’échanger avec un tissu humain très au fait des particularités de chaque région de l’île. À ce titre, outre les vignerons avec lesquels les échanges sont constants, l’île est riche de toutes ces personnes actives dans le secteur du patrimoine et de la recherche. Ainsi, les collègues de l’Université de Corse à Corte développent des travaux importants au sujet des problématiques de l’environnement et des dynamiques de la ruralité, ce qui nourrit les travaux d’analyse. Enfin, le Centre de recherche viti-vinicole insulaire (CRVI) est un organisme avec lequel les échanges permettent d’en savoir plus sur les cépages, nombreux, de l’île.

En fait, la Corse est un observatoire à nul autre semblable pour la compréhension des dynamiques environnementales globales (terre – air – mer).

Sa diversité de cépages lui permet-elle de faire face aux aléas climatiques ?

Assurément ! Je ne connais aucun territoire disposant d’une telle richesse ampélographique, avec des cépages à qui l’histoire pluriséculaire a donné des aptitudes à affronter le chaud et le sec ici, le frais là. Mais surtout, la force de la Corse c’est d’être une île-montagne, et de pouvoir s’appuyer sur l’altitude pour mettre ses productions en sécurité. À ceux qui pensent que la montagne est stérile, il faut dire qu’une étude approfondie de ce que furent les produits issus des villages, loin des littoraux si connus, démontre qu’il y avait des cultures jusque sur le plateau du Cuscione, vers 1250 mètres d’altitude ! Généralement le visiteur est marqué par l’omniprésence du maquis, mais il doit savoir que ce sont des milliers de kilomètres de terrasses qui s’y cachent et qui témoignent de la valorisation des terres jusque très haut en altitude. Et en ces temps de sécheresse si sévère, que chacun se souvienne que la Corse a développé jadis une civilisation rurale qui cultivait de tout, notamment de la vigne, dans chaque village. Parce qu’en-dehors de l’étagement en altitude, il faut aussi compter avec la très grande diversité des expositions sur les versants et avec la très grande variété des terrains, granitiques souvent, schisteux ou calcaires dans certaines régions. Face à un futur incertain, la Corse a trois atouts majeurs : ses professionnels, ses cépages et son territoire en lui-même ! Quand d’autres régions s’interrogent sur les solutions à adopter face au stress climatique que les vignes subissent, la Corse peut déjà compter sur de solides appuis !

 

Vos études vous permettent-elles d’appréhender l’avenir de la viticulture ? Travaillez-vous de concert avec les scientifiques et les viticulteurs pour trouver des solutions pérennes ?

Le travail de recherche est destiné à servir d’autres études, notamment celles conduites par les spécialistes des sciences du climat et de l’agriculture. Les échanges au sein de la communauté scientifique sont importants. L’historien produit des données que les scientifiques des sciences « dures » n’auraient jamais à disposition sans ce travail premier. En effet, si le scientifique travaille sur des séries de données, toute la question est de savoir : comment les obtient-il ? Parfois, il dispose de séries issues d’organismes anciennement établis : les données de la météorologie nationale. Mais comment faire pour appuyer une analyse plus sérieusement sur une série homogène (même type de définition, même phénomène…) plus vaste ? C’est là où l’historien est celui qui interroge les traces du passé pour trouver le moyen d’éclairer le présent. Alors sans la méthode de l’historien, et le temps qu’il passe à analyser les données du passé, la science contemporaine ne serait pas du tout la même : elle serait aveugle. La communauté scientifique a conscience de l’apport nécessaire des uns aux autres, ce que le grand public ne perçoit pas toujours, parce que cela est peu expliqué sans doute. Reste que l’histoire ce n’est pas du passé révolu sans importance, c’est ce sur quoi les phénomènes de notre présent prennent appui et se développent. Alors autant connaître la nature des racines sur lesquelles se nourrit notre monde !

Avec les vignerons les échanges sont nombreux, fréquents, constants également. C’est un dialogue permanent puisque les praticiens sont très bons connaisseurs des habitudes, des techniques, des cépages qu’ils travaillent. Ils donnent sens à des éléments que les livres ne peuvent jamais éclairer. Le dialogue entre les scientifiques – dont l’historien est un représentant puisque la science dépend de la méthode pas du langage employé – et les vignerons est vraiment central puisqu’il s’engage effectivement pour élaborer ensemble des pistes d’action pour que la viticulture perdure !

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